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Dupuch: Traslazione Reliquia di Agostino 

Documento numero III

Documento numero III

 

 

 

DOCUMENTI AUTENTICI CITATI NELLA RELAZIONE

N. 3

 

 

 

 

ANTOINE ADOLPHE DUPUCH,

par la miséricorde divine et la grace du Saint-Siége apostolique,

ÉVÉQUE D'ALGER ASSISTANT AU TRONE PONTIFICAL

au Clergé et aux Fidèles de notre Diocèse, Salut et Bénédiction

 

EN NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST

 

 

Nos Très Chers Frères,

Le voyage béni que nous poursuivons en ce moment et durant lequel nous vous avons déjà écrit par deux fois, est trop importante trop intéressant pour vous et pour nous, est accompagné de trop de grâces et de providentielles circonstances pour que nous craignions de vous fatiguer en vous écrivant une fois encore, avant notre arrivée si heureusemcnt prochaine pourtant et que nous hâtons de toute l'ardeur, de toute la tendresse de notre Coeur. D'ailleurs, ces lettres que leurs dates seules rendraient mémorables, appartiendront par leurs détails à cette histoire de l'Église d'Afrique, dont nous écrivons ensemble les premières pages, en ces étranges jours de sa résurrection, après tant de gloires et de malheurs.

Aussi ce soir venons-nous moins vous exhorter, vous presser selon notre habitude et ce que nous inspire le Seigneur, que réjouir, récréer vos coeurs attendris en revenant, aussi brièvement que nous le pourrons, sur les voies pleines de grâces que Dieu nous avait preparées, sur celles qu'il nous prépare chaque jour encore ... Toutefois, nous nous sentons ravis, en pensant que cette sorte de conversation de famille pourrait bien être, de toutes les exhortations la plus entrainante, comme bien certainement elle sera la plus douce.

A peine donc nous vous avions quittès, le lendemain du jour où nous vous invitions à entrer généreusement dans la carrière entr'ouverte de la pénitence quadragésimale, que commençait, par une rapide traversée et notre pélerinage à la baume sacrée de l'illustre amante du Sauveur, la merveilleuse suite de ces divines rencontres dont l'ensemble nous accable en ce moment où nous comprenons presque, dans sa plénitude de douceur, cette étonnante parole, Pavebunt, etc.

Si vous voulez savoir pourquoi, Frères bien aimés nous visitions d'abord la grotte encore numide des pleurs de Magdelaine, nous vous dirons naïvement que c'était pour goûter tous les jours davantage la miséricorde de colui a qui nous devrions ressembler, et que respire de la façon la plus touchante ce sauvage et tendre asile de celle à qui beaucoup de péchés furent pardonnés parce qu'elle avait beaucoup aimé ... Et puis, ne vous semble-t-il point que c'était un gracieux premier pas vers le tombeau de cet amant célèbre du même Sauveur qui avait tant péché lui aussi et qui aima pourtant bien plus encore? .. Lui, notre modèle principal dans la ressemblance divine, notre pére, notre ami, notre prédécesseur immédiat sur la terre d'Hyppône notre commun héritage - devant Dieu, quatorze siècles sont moins qu'un instant !

Mais nos pas, ces premiers pas surtout étaient impatients; et presque aussitôt nous nous étions élancés de nouveau sur les flots dociles - A Gênes, nous recherchions les traces d'une famille à qui nous voulions rendre, à qui nous espérons rendre avec bonheur une portion d'elle-même si merveilleusement sauvée par nous dès notre premier voyage à Constantine, Dieu achèvera son oeuvre ! A Pise nous baisions, dans le champ saint, la terre sainte entre toutes les autres et qu'avaient rapportée dans les jours anciens, des bords du Jourdain étonné, des hommes à foi prodigieuse et ardente. Ces souvenirs la rallument! Oh! demandons a Notre-Seigneur, nos très chers Frères, demandons-lui ensemble avec larmes de augmenter sans cesse dans nos âmes qui doivent vivre de la même vie et notre vie, Frères bien-aimés, ne l'oublions jamais, c'est la foi ! A Naples bientôt, anx ruines de Pompéï, nous regardions avec une sorte de stupeur, ou mieux avec transport, le paganisme surpris tout vivant aux milieu de ses fêtes, de ses plaisirs impurs, de son orgueilleuse philosophie, par le feu, par les entrailles épanchées du Vésuve encore fumant ... Il est là ! nous l'avons vu, touché de nos mains ... Dieu ! quelle religion ! quelle différence entre ces dieux prétendus, et vous, souveraine et immortelle beauté, vérité immortelle? que nous devrions être fiers, Frères chéris, d'être chrétiens. - Quand ècouterons-nous, comprendrons-nous la grave et profonde parole que nous répétait ce matin Ambroise dans sa basilique, dans la leçon de l'Église toujours la même ... Saint Paul était venu à Pouzolles.

Le poëte endormi sous le laurier de Parthénope, aux flancs du Pausilippe, nous eut touchés sans cette même foi qui, nous faisant saintement dédaigner cette tombe vaine, nous faisait accourir sur les pas de l'apôtre dont nous devions baiser les traces jusqu'aux eaux salviennes -, et, en attendant et tout auprés , dans les premières collines de la Campanie, aux portes de Nôle, de la ville de Paulin de Bordeaux dont la mémoire est demeurée si ètroitement unie à celle d'Augustin, au glorieux tombeau de la jeune et héroique Philomène ....

Durant quinze siècles et plus, ses restes oubliés avaient dormi aussi, non sous le laurier, mais à quinze, a seize milles sous terre, sous les plus sombres voûtes des catacombes de l'éternelle et royale ville des apôtres et des martyrs; quand tout-a-coup, ô prodige ! que nous avons vu aussi; que nous avons touché aussi de nos mains tremblantes d'émotion, parmi d'humbles et pauvres montagnards, éclatent, se dispersent partout l'univers catholique, comme les épis des gerbes entassées qu'emporterait la soufflé violent de l'aquilon, ces innombrables signes, ces miracles multipliés sous toutes les formes et ainsi qu'à l'infini, qui en trente-huit ans à peine ont rendu si puissant et si doux le nom, l'angélique nom de la Vierge de Mugnano. - Vous connaîtrez cette étonnante histoire; vous recueillerez bientôt avec avidité de notre plume, de notre bouche quelques-uns de ces magiques et irrésistibles recits. - Ce sera pour nous plein de charmes, et l'acquit d'une dette sacrée. - Car nous lui avons inséparablement uni notre pauvre et chère Eglise, en ôtant de notre doigt pastoral le premier des anneaux qui l'ornaient depuis le commencement pour l'attacher, le laisser en signe plus expressif que tous à sa miraculcuse chasse. - Avant-hier, et dans un moment plus touchant, plus solennel encore, ainsi ôtions-nous, attachions-nous, laissions-nous le second, de telle sorte que vous ne puissiez plus etre séparés d'Augustin et de la Taumathurge du dix-neuvième siècle, selon les magnifiques expressions d'un des plus illustres successeurs de Pierre -, car l'anneau c'est l'union.

Quel moment pourtant, nos très chers Frères, que celui où, corame à la porte du ciel, nous étions collés à l'autel de Mugliano, ne pouvant rassasier ni nos yeux ni nos oreilles , ni notre coeur ! Dans la compagnie du saint et vénérable Custode, panni les petites soeurs (Sorelle) de Philomène, au milieu des trésors entassés de la piété des fidèles de toute la terre, pendant que des voix d'enfants mèlées aux sons ravissants de l'orgue et des instruments sacrés, l'invoquaient, l'imploraient pour nous, ora pro eo ! alors que tout le peuple se levant à la fois, entonnait le symbole antique, ou se jetait sur nos mains indignes pour les couvrir de larmes et d'embrassements; ou quand une jeune fille nous reprochait dans sa naïve vivacité l'infirmité de notre foi; ou bien encore quand nous embrassions nous-mêmes la pierre de son sepulchre avec ses flèches, son ancre, ses fouets, son lys et sa palme, examinant en évêque les six reliquaires miraculeux, l'image aux yeux miraculeusement ouverts ou celle qui arrivait du fond de la Chine chrétienne aux nouveaux martyrs et aux nouvelles catacombes; ou bien en sentant sur notre tête, sur notre coeur qui palpitait si fort, sur notre bouche ardente, ce sang aux gouttes animées de diamants , dont la seule vue convertissait naguère de célèbres protestans à la transubstantiation de celui de J.-C.; ou bien en nous laissant aller sans efforts, avec un calme divin, à cet abandon de l'âme qui, par moments, en fesant évanouir la foi, fait croire que c'est déja la réalité ...

Mais pourquoi commencer ici cette longue suite ... ces détails que nous vous promettons de nouveau, et qui, quand il en sera temps, vous feront comprendre comment nous regardons désormais cette toute-puissante enfant, comme une des plus fermes, des plus indestructibles colonnes de notre Episcopat durant lequel son culte se sera si solennellement et si complètemcnt établi parmi vous, selon notre filiale domande au supreme Pontife et sa réponse si empressée, si consolante pour nous ... Nous vous rapportons avec bonheur plusieurs fragments de ses ossements sacrés, et comme une couronne de sa chevelure sans cesse coupée et sans cesse renaissance ... Qu'il fesait bon là aussi! Mais nous allions à Rome, au seuil des Saints Apôtres, au coeur de l'Èglise catholique; nous étions pressés de traiter de graves et délicates affaires, du succès des quelles nous ne doutions pas. - C'était le prix de nos promesses à Magnano ... comme à Ostie, à Pavie, à Milan c'est notre reconnaissance après l'heureuse issue. - Car même alors, nous ne les pouvions séparer du saint village que nous quittions le coeur si plein.

Or, à Rome, et déja ne le savez-vous point, ne vous l'avons-nous point écrit d'Ostie, en quelques jours bénis de Dieu, toutes, même les plus graves, les plus délicates, toutes nos négociations réussissaient; c'était comme par une sorte d'enchantement. Les dames du Sacré-Coeur fondaient enfin, assuraient à n'en pouvoir plus douter la foundation de leur maison d'Alger; des maîtres excellents, dès longtemps éprouvés acceptaient la direction de notre nouveau séminaire; des mesures extraordinaires que d'extraordinaires circonstances nous avaient para rendre nécessaires (comme elles l'étaient au fond); étaient confirmées par l'évêque des évêques (Laissant de côté des détails désormais inutiles, puisqu'il en est ainsi, nous disait-il, allez et que Dieu soit avec vous! Nous devions peut-être cette note à quelques-uns de nos bien-aimós Diocésains - daigne le Seigneur leur en donner la parfaite intelligence!); de nouvelles faveurs nous étaient prodiguées; le saint vieillard qui preside si glorieusement, qu'il y préside de longues années encore! aux destinées de l'Eglise, nous pressait dans ses bras paternels, nous l'embrassions avec l'effusion de la piété d'un fils.

Cependant, nous revoyons l'arène des Martyrs, la prison de Pierre et de Paul, leur sépulcre glorieux presque à l'égal de celui du maître, le christianisme embrassant, dominant, étouffant le paganisme enlacé dans ses mille triomphes, et surtout, oh! surtout Frères bienaimés, nous retrouvions, nous revoyions les Catacombes ... ! nous rentrions, nous nous enfoncions, chaque jour, Presque dans leurs muettes et si éloquentes entrailles, nous revenions aut lit de gloire de notre Adéodat, à celui de Philomène, nous prions encore sur le corps d' Etienne, sur celui de Laurent, embrassant sa pierre rougie et brulée, l'Amphore avec laquelle il baptisait, les pierres qui avaient brisé le front de son frère devenues comme de précieux joyaux ... c'était au fond de sa douce basilique! ... mais bien plus, et à sainte Agnès, parmi de nouvelles ruines et de nouvelles victoires, contemplant à chaque pas les naïves images du bon pasteur portant sa brebis sur ses épaules ou la désaltérant aux eaux vives qui ruissellent de sa main, ou celle de Jonas dans les flancs de la baleine comme eux, des enfants dans la fournaise comme eux, de Daniel dans la fosse aux lions comme eux, de Job éprouvé comme eux, d'Isaac étendu sur le bois du sacrifice.

Un peu plus loin, priant dans la basilique souterraine aux deux nefs unies, là où ils priaient entassés dans les jours solennels, où sacrifìaient sur les cinq autels a la fois les prêtres fidèles, où s'asseyaient sur leurs sièges d'argile les évêques non moins fidèles et plus cruellement poursuivis. Il n'y avait que huit jours qu'un de ces trônes plus magnifique que celui des Cesar venait d'être découvert ! - Nous avons osé nous y asseoir un instant .. à côté brillait d'une douceur celeste à la clarté de nos torches enflammées un fragment du tombeau des saints martyrs dont les corps reposaient sous les autels, nous vous l'apportons (dulcissima memoria), comme le disait l'inscription qui le décore.

A Pompéï, c'était le paganisme vivant avec ses hideuses fables, ses impuretés detestables. A Sainte Agnès, c'est l'Église naissante, c'est le christianisme des premiers jours tout vif encore avec ses humbles fêtes, ses chastes douleurs, ses généreux combats, ses victoires ... Quelle vanité, après tout, quelle infection du coeur parmi ces ruines dévorées et comme divinement conservées par la lave! Quels parfums, quelle grandeur au fond de ces arenaria et parmi ces humbles sépulcres? Oh ! je ne suis plus surpris que ceux de nos bien aimés frères séparés que l'esprit de Dieu y conduit comme périodiquement en sortent presque tous catholiques ... Melior est dies una in atriis tuis, Domine, super millia.

En quittant les pieds du saint Pére, et pour attirer de plus en plus sur nous les bénédictions dont les siennes étaient le gage et le commencement, avant de partir pour Ostie, nous voulûmes offrir pour vous les sacrés mystères sur le corps même de sainte Monique ... Durant mille ans et plus il était reste enseveli à la place où Augustin, Adéodat et Alype l'avaient déposé en pleurant, dans cette petite chambre d'où il nous semblait si bon de vous écrire notre première lettre. Un évêque de notre France orna magnifiquement, lors de sa translation, l'autel où il repose dans une urne de marbre vert antique au fond du tempie élevé dans la ville sainte à la mémoire de son fils.

Là veillent ses disciples fervents, ceux qui poursuivent encore aujourd'hui la canonisation de ses soeurs Perpétue, Félicite , Basilique ... Ils nous ont demandé d'unir nos prières à leurs prières, nos efforts à leurs efforts ... Ne sommes-nous pas tous comme la famille d'Augustin? Mais attendons les moments de Dieu. Durant notre pélerinage a Ostie, avec quelle douceur nous nous entretenions de la mère, du fils, de l'autre enfant si aimant, de l'ami le plus tendre; d'Adéodat, d'Alype. Nous sortions par la porte saint Paul, de long de sa basilique renaissante, près des trois fontaines qui jaillirent ardentes, moins brulantes, glacées selon qu'avait bondi sa tête enfin victorieuse à jamais sous le glaive du bourreau, pendant que Pierre sur la colline lointaine expirait crucifié la tête en bas. Nous cheminions sur la voie romaine, via ostiense, ses larges pavés portaient encore l'empreinte des roues pesantes des chars, le nôtre y glissait avec peine. Quel silence aujourd'hui sur ces voies désolées, quel silence dans ces immenses campagnes ! à notre droite coulait non moins silencieux le Tibre dont ils descendirent pour la dernière fois à sa bouche plus illustre par leur mémoire que par la gloire des Trirèmes romaines ou l'arrivée des légions victorieuses.

Enfin et vers le déclin du soleil, par un temps magique, au delà de ces étangs et de ces grands bois, de ces moissons de roseaux desséchés c'est Ostie! ... il reste une tour, deux vieux pins avec leur verte et éternelle couronne, des colonnes renversées, des lampes, des inscriptions, mille débris confus; là où baignait la mer, où sont encore les anneaux des Trirèmes, une porte à demi ruinée; et au lieu de quatre-vingt-dix mille habitants à peine trente-cinq personnes qui ne revenaient pas de leur étonnement en nous voyant ainsi arriver ardents, attendris, empressés, les accablant déjà de questions de toute sorte. Quand tout-à-coup, et sur l'arcade irrégulière d'une chapelle enfoncée, nous avons lu: c'est ici la petite chambre où Monique prête à repasser en Afrique avec Augustin son fils, tomba malade de la fièvre dont elle mourut le neuvième jour, etc. Le reste, Frères bien aimés, vous le sentirez mieux que nous ne sûmes vous l'écrire alors, que nous n'essaierions de vous l'écrire encore. Elle est en effet petite, de ce côté, cette chambre maternelle, du côté où elle mourut, là où est l'autel où nous sacrifiâmes dés les premiers feux du jour le lendemain matin. De l'autre côté, elle s'étend davantage; c'est la même parure qu'au temps où elle y demeurait avec eux, l'antique voûte l'a gardée.

La fenêtre sur laquelle ils ètaient appuyés, est en avant de l'autel. Tout autour le sol est jonché de débris. Nous en cherchions un que nous pussions vous apporter mêlé à nos autres trésors, nous le trouvâmes vite, sur le premier fragment, c'est comme sur celui de la basilique des catacombes, dulcissima; sur l'autre, le bras du bon pasteur tenant sa houlette, figure de celle que nous portons parmi vous, qui désormais ne saurait tomber de notre main. Deux rameaux d'oliviers s'entrelacent autour de la petite lampe que nous y pûmes joindre ... Touché de notre joie, de notre attendrissement que trahissaient nos moindres paroles, nos moindres gestes, le gardien de ce sanctuaire imagina de placer devant nous, qu'il en soit beni ! une portion des restes vénérables de Monique. Vous savez ce que nous fimes, ce que nous ne pourrions dignement retracer ... Quelle soirée en regardant coucher le soleil du côte même où s'étaient abîmés les regards de la mère et du fils. La lune argentait dejà depuis longtemps la terre, les pins, les lacs immenses, la mer lointaine, que nous ne pouvions les détacher ces regards confondus avec les leurs. Quelle nuit! passèe avec elle, avec lui, avec vous. Quel sacrifice après cette nuit divine! puis, quel départ, et jusqu'au soir, jusqu'au lendemain , sur les flots qui s'agitaient vainement autour de notre frèle bâteau, jusqu'a Pavie enfin, en dépit de Florence et de ses trésors tant vantés , des riches campagnes de Bologne ou de Parme, quels entretiens, quels épanchements continuels de nos coeurs !

Une fois, sur les eaux menaçantes, et quand la nuit commençait à les envelopper de ses sombres voiles, près de l'île à jamais célèbre par la première captivité d'un illustre proscrit, un pauvre petit oiseau battu des vents se vint réfugier dans notre sein, au moment où le rosaire à la main nous récitions pour vous la couronne de Marie. Nous ne lui refusâmes pas ce sur et singulier asile. Le lendemain , nous lui rendions la libertè. Ainsi nous apprenions durant cette nuit orageuse à nous réfugier et à dormir tranquille dans le sein de Dieu; et avec lui, nous recouvrions notre liberté sus les côtes pittoresques de la Toscane où nous nous jetions avec impatience, préférant les longues fatigues de la route des montagnes à l'incertaine rapidité du paquebot étranger.

Dans ces montagnes où la neige tombait à flocons pressés, par deux fois, coup sur coup et aux portes de Bologne, deux de nos guides devaient infailliblement perir!, sous la roue du char qui se précipitait, sous les chevaux renversés; Marie reine et mère de miséricorde, vers laquelle nous poussions nos gemissements et nos cris accoutumés les releva, les sauva. A elle, à son chaste époux dont nous venions de célébrer la fête si chère, mille fois grâes, amour, confiance ! Le 24, à pareil jour que celui où le mois précédent nous arrivions à Mugnano, nous avions traversé la ville de Charles et d'Ambroise, nous étions déjà à Pavie! C'était le soir tard; nous ne savions où ètait son corps, mais nous le devinions. Nous étions cornine l'aiguille à la pointe inquiète et agitée qui se tourmente en tout sens jusqu'à ce quelle ait pu s'attacher à l'aimant vers lequel elle se tourne et retourne sans cesse. Nuit délicieuse pourtant et qui se confondait avec la nuit d'Ostie, avec celle de Mugnano, avec celle où nous toucherons a vos rivages; puisse-t-elle se confondre ainsi avec celle où nous aborderons aux rivages éternels !

Aux premières clartés du jour nous commencions à interroger tout ce qui nous entourait comme si tous eussent dû nous comprendre ! Quand de la part du Saint viéillard préposé à la garde du sacré dépôt, et qui allait commencer au milieu de son clergè attendri les touchantes fonctions, ainsi parlait-il, de la cène et des huiles divines, un gracieux message nous avertit que nous ètions de la famille ... Nous ne savons mieux dire, donc nous nous mélâmes parmi les siens comme un jeune frère, comme un fils parmi les fìls de son père et de sa mère priant, communiant, sacrifiant avec eux ... Puis, sans vouloir prendre encore d'autre nourriture, déjà dans l'antique basilique de Ticinum, devant l'arche ... Ainsi nomment-ils à cause de sa figure sans doute (à cause du signe d'alliance, disons-nous et répetent-ils maintenant avec nous; qu'il renferme, qu'il garde), le magnifique monument de la piété de leurs pères, et de la leur envers Augustin, dont le corps repose sous ce lit de gioire, ils l'ont récemment restauré à grands frais et vraiment vous ne sauriez croire combien il s'élève glorieusement.

Mais à l'envi, tous, au palais du vénérable Pontife, au sein de la célèbre université, nous en offraient de fìdèles et superbes images; d'admirables descriptions que nous vous apportons encore et que nous répandrons à notre tour avec bonheur parmi vous, préférant cette voie plus sûre à tout ce que nous n'aurions pas le temps de vous en écrire, à ce que nous ne saurions vous raconter dignement. Pourtant nous ne le vîmes pas ce premier jour, ni le lendemain; ce ne fut qu'en le quittant que nous songeames à lever nos yeux pleins de larmes vers ce chef d'oeuvre de l'art, ce manuscrit de marbre et de porphire où se trouve retracée tonte sa vie, une partie de celle de sa mère, plus que leur vie et leur nom, leur triomphe et celui de l'hospitalière cité.

Sur la muraille au-dessus, tout à l'entour, vous eussiez vu ce que ne renferme pas leur magnifique cahier Hyppône en flammes, les Vandales se ruant sur ses habitants fugitifs, une mère tenant son fils entre ses bras, à genoux au-devant du coursier qui se cabre et arrétant le plus furieux des barbares, pendant que Possidius et un de ses frères plantent avec calme, et comme une infranchissable barrière, leur bâton pastoral (le sien est couché sur son cercueil), donnant ainsi à leurs disciples, les siens il y a trois mois à peine, le temps de transporter ses ossements et ses livres à bord de la Trirème où ils entrent. - La longue planche se courbe sous le poids de tant de trésors, les voiles sont gonflées, les rames s'agitent comme les ailes de l'oiseau prêt à s'élancer sur les mers lointaines au fond de la barque c'est un clerc de la basilique de la Paix, portant la croix, ce sont des femmes, des enfans, des vieillards qui le reçoivent à genoux. Pour toute provision de voyage ils n'emportent que du pain et encore ...

Et de l'autre côté, la barque fière de son sacré fardeau et que les vents propices ont conduite des rives de la Sardaigne à celles de Gênes, touche au port; le cercueil paré comme l'urne des saints descend pour la dernière fois des mers dociles Oh ! non pas tout à fait pour la dernière fois! Voyez-vous ce généreux prince qui a versé plus que le poids de l'or, qui tombe à genoux au milieu des évèques, des prètres, des lévites, de tout le people qui accourt et qui célèbre avec transport les prodiges qui accompagnent les restes sacrés. - C'est Luitprand, le roi des Lombards, dont la mémoirc et la piété gardent encore les ossements d'Augustin, sur les bords du Tésin.

Ce jour que le Seigneur avait fait, un des plus beaux de notre vie et que nous pûmes passer presque tout entier profondément abîmés dans la contemplation de notre bonheur, que nous achevions en vous écrivant notre seconde lettre, ne le fut pourtant pas autant que le lendemain, le 25, le jour de l'Annonciation et tout à la fois du vendredi de la mort du Sauveur ... Il y avait trois ans que le jour où l'Eglise célébrait ce même mystère de l'Incarnation du Verbe, nous embrassions pour la première fois les ruines d'Hyppône, nous célébrions avec la pompe des déserts et de tant de souvenirs parmi les fleurs, à l'ombre des oliviers antiques, sous l'arcade encore debout de ses citernes ... Le matin de celui-ci, nous étions assis sur le siége des Évêques de la sainte église de Ticinum, comme sur le notre, durant l'office solennel auquel nous présidions aux acclamations du peuple tout entier, et en signe d'union ....

Ainsi plus tard apposions-nous notre doublé sceau, le sceau des deux heureux frères sur d'insignes reliques, ainsi devant l'arche ferons-nous placer la mosaïque trouvée par nous sur les bords de la Seybouse sub urbium, à Hyppône, et dont les anneaux s'entrelacent depuis trois ans aux pieds de notre autel episcopale et, dans l'arche même, deux rameaux chargés de fruits; cueillis sur le tronc séculaire des oliviers qui en couronnent les collines, là où son corps sacré fut place d'abord, où viennent encore chaque vendredi, étranges pélerins, les enfants des tribus apportant du miel, de l'encens, des flambeaux, des oiseaux timides; tradition chérie, l'unique après tout que nous ayons pu trouver. C'est le tombeau du grand chrétien (Roumi el Kebir).

Mais pourquoi retarder encore ? aussi bien nous ne saurions non plus garder dans ces effusions de notre coeur l'ordre ou la mesure accoutumés ... L'office finissait donc, et nous nous arrachions aux visites empressées de ce bon peuple, de ses Podestats, de son fervent clergé pour accourir de nouveau aux pieds du sépulcre, et, cette fois, comme dans ses entrailles, car il devait nous être ouvert ...

Le premier Podestat avait apporté sa clef, le Doyen du chapitre remettait la sienne, l'Évêque se traînait, les deux siennes à la main , murmurant doucement, ubi amatur, ibi non laboratur -, les flambeaux des clercs brillaient de vives flammes, la foule se pressait recueillie, avide -, déjà l'habile ouvrier a détaché les premiers gonds, il a ôté le premier cristal; les mains des prêtres lui viennent en aide, ils soulèvent le cercueil d'argent et entre les deux évêques à genoux, ne leur demandez pas ce qu'ils éprouvent! le déposent sur l'autel préparé à côté, sur l'autel d'honneur lui-mème bientôt; ce n'est pas assez: l'enveloppe d'argent est enlevée et alors ....

Figurez-vous si vous le pouvez, Nos très chers frères, ce moment! le cristal et le bronze admirablement marié munissent et découvrent le corps sacré, il est presque entier; du moins il ne manque qu'un ossement du bras gauche, la vertebre la plus voisine de la tète, quelques fragments d'un des soutiens du corps, à peine quelques autres parcelles. L'os du bras est encore parmi les disciples d'Augustin d'Angleterre; l'antique Eglise de Raguse, possedè la vertebre; à l'Espagne, à Parme heureuse et fière de son voisinage, à nous-mêmes, le reste des fragments que la piété de Benoît VIII en détacha pour la première fois vers l'an 1022 et à l'occasion d'un célèbre Concile de Pavie.

Depuis, et à diverses fois, ses successeurs défendirent sous peine d'excommunicatìon d'y touchcr seulement, sans un bref special de leur supreme paternité. Voyez-vous ces restes du cercueil de plomb d'Hyppône, de la chasse de bois de cèdre artistement travaillée, du voile dans lequel ils furent d'abord enveloppés ces ossements maintenant si pressés, cornine si leurs gardiens fidèles craignaient encore, s'ils étaient ainsi moins faciles à séparer. Les deux ampoules parfumées d'huile et de nard ou mieux de la piété de Possidius et de ses amis, sont là. Le visage du Sauveur, son chiffre entrelacé, le signe de Luitprand décorent la chasse d'argent; elle semble porter la trace de ces inondations périodiques de la confession de saint-Pierre-du Ciel d'Or, alors que chaque année au jour de sa fête et en signe des flots de doctrine et de genie qui s'épanchaient de son coeur, les eaux miraculeuses du puits montaient de ses profondeurs sacrées (In monasterio sancii Vetri in coelo-aureo papiensi, in quo ejusdem sancti quem magnus Dominus et Laudabilis nimis vocavit de tenebris gentium lumen ecclesiae sua? depositum existit; ibique fons indefìcientis aqua? usque in hodiernum diem effluens (quot annis) ostendit inexhauribilem ejus sapientiae fontem, etc. (Vota pro identitate); regardez avec nous, car enfin nous osons lever les yeux, nos regards confus; c'est le reste du bras gauche, l'autre bras tout entier, ce sont ses pieds, ses côtes, ses autres vertèbres, les débris de son crâne, dans une riche soie verte quelques fragments reservés; la poussière seule pése sept livres et trois onces (Dans la reconnaissance des ossemens de S. Augustin qui eut lieu le 15 Mars 1698 on lit ce qui suit: Polvere o sii cenere pesata è lib. 7 onz. 3 da onz. 12. per ciascuna, riposte in un Velo di seta verde con franza verde legata con fettuccia rossa. Voyez le P. Fulgence Bellelli dans son oeuvre: Collectio actorum atque allegatorum quibus ossa sacra Ticini in Confessione S. Petri in Coelo Aureo anno 1695 reperta, esse sacras S. Augustini exuvias probatum est. Première Partie pag. 47 Les Editeur); avec elle les osseincnts décrits par eux à diverses fois, a cinq, trois siècles, quelques années à peine d'intervalles, d'habiles médecins ont en quelque façon recomposé le corps que nous ne pouvons nous lasser de contempler. Mais au-dessus c'est sa bouche, la mandibule inférieure est encore ornée de deux de ses dents; avez-vous lu dans ses confessions ce qui raconte de leur gracieuse guérison?

A sa forme on peut juger de celle de son visage oblong; à son crâne on peut juger que si on ne trouve aucun de ses cheveux blanchis par tant de travaux, de souffrances et d'années, c'est que déjà tous étaient tombés, comme les feuilles du chêne a la fin du long hiver, par la permission de celui qui est notre pére et qui, selon sa promesse, n'en laissera pas perir un seul .... Plus heureux nous avons vu, nous emportons quelques restes de sa barbe venerable .... Est-ce bien vrai, Frères bien-aimes, n'est-ce pas le plus aimable des songes? C'est comme une partie du voile de la foi déchiré n'est-ce-pas? Oh ! quelle scène ! nous ne respirions plus, nos joues étaient brûlantes, nos yeux s'emplissaient goutte à goutte des plus délicieuses larmes, nous voulions parler, nous ne pouvions pas, nos regards, notre coeur, notre âme étaient agglutinés a ces ossements de notre Pére, de notre Frère; seul au monde et le premier depuis tant de siècles, nous lui pouvions donner ce nom - dans les dyptiques de l'église d'Hyppône après le sien, le notre! Sur terre nul n'éprouva jamais, ne pourra sentir, nous ne sentirons jamais plus ce qui accablaît notre âme embarrassée de tant de douceurs et de graces. Par intervalle, nous regardions fixement; par moments, nous inclinions notre tête sous le poids, sous le charme du bonheur; nous contenions tant que nous le pouvions les élans, les battemens de notre coeur. D'autres fois nos lèvres s'ouvraient pour réciter vos noms, pour prier pour vous, pour tous les nôtres, pour nos premiers comme nos nouveaux enfans, pour notre patrie bien-aimée, pour nos guerriers, pour tous, la mémoire du coeur est la meilleure! D'autres fois nous approchions nos lèvres ainsi ouvertes à la prière pour joindre les plus tendres embrassements aux plus tendres supplications - nous nous levions, nous tombions encore à genoux - ceux qui nous entouraient nous regardaient respectueusement et presque aussi attendris que nous - notre compagnon fidale nous imitait; il comprenait plus que les autres ! Le saint vieillard, l'Ange de l'église de Pavie mouillait le pavé de ses larmes, il croyait être encore au jour solennel où (Février 1855) il restaurait avec tant de magnificence, de goût et de piété, le monument de ses Pères, plaçant les ossements d'Augustin dans leur nouveau cerceuil, dans le cristal enveloppé d'argent et travaillé avec le riche bronze. Le plus souvent nous écoutions - il nous semblait entendre sortir de cette bouche entr'ouverte, il nous semblait voir couler des flots d'or pur .... nous cherchions quelle main avait écrit tant d'admirables livres, quel bras avait si souvent tenu le bâton pastoral, s'était si souvent levé sur Hyppône, sur Calame, sur Cirtha, sur Julia-Cesarée pour les bénir: les instants se succédaient rapides et pleins comme ceux d'une apparition du ciel; n'en était-ce pas une que cette entrevue?

Et déjà il fallait se séparer!... Vous rappelez-vous notre second anneau, celui qu'avait porté avant nous et jusqu'à sa mort bienheureuse aussi le glorieux évêque, notre Père dans la foi, celui qui nous envoyant à Saint-Sulpice l'ècole, la Mère bien-aimée de notre jeunesse sacerdotale, nous disait d'un coeur qui débordait: Fils, va, sois heureux ! II portait les traces de ses apostoliques travaux; depuis trois ans et plus il ne nous quittait pas, c'était celui que nous chérissions davantage: ainsi le guerrier, sa plus vieille épée, celle qui est plus belle de ses meurtrissures que de l'or qui la garnit, avec laquelle il a plus souvent, plus vaillamment combattu - Il la chérit comme sa vie; plus quelle, comme ses fatigues dont elle est un récit abrégé, comme ses victoires ... Il ne la vendrait pas au poids de l'or, il ne la rendrait jamais! S'il rencontre pourtant le tombeau d'un autre guerrier plus illustre mille fois, fût-ce sur un roc désert, il l'aiguisera, il la lui mettra s'il le peut entre les mains - peut-être qu'il la déposera pour toujours sur son mausolèe, sur ses os qui tressailliront! Mais que de larmes avant de s'en séparer tout-à-fait! et à ce moment suprème quel dernier embrassement !

Et après il la cherchera sans cesse, sera comme stupéfait de ce qu'il a fait, ne le regrettera pas et recommencerait mille fois, et croirait ne le pouvoir. Ainsi et bien plus encore anneau sacré, anneau de mon Pére et de mon épouse bien-aimée, toi qui fus si souvent couvert de ses larmes, de ses embrassements de pasteur, de Pére, de Mère, toi qui brillais si doucement pour mon coeur des baisers de mes enfans et des siens, quand je t'ôtai pour la dernière fois de mon doigt, quand je t'attachai avec les bandelettes couleur de feu à l'Ange qui couronne la chasse auguste, quand me relevant pour la dernière fois et lui disant un long et solennel adieu, je te disais adieu aussi, quand pour la dernière fois mes lèvres te pressèrent si tendrement, si long-temps (j'avais toujours cru qu'elles se colleraient en mourant comme les siennes; sur ton humble pierre à la couleur du ciel) je pleurais, tous ceux qui m'entouraient pleuraient aussi, dit-on, Je répétais les noms d'Hyppône, de Calame ...!

Je pleure encore, douces larmes! et toi signe précieux que je n'eusse pas cédé au prix de l'or ou des plus magnifìques diamants, que je n'eusse rendu qu'avec la vie, avec qui je voulais être enseveli; adieu encore, adieu! reste là, reste longtemps , reste toujours! que tous ceux qui visiteront jusqu'à la fin le tombeau d'Augustin te saluent avec moi, t'embrassent aussi, prient pour mon église, pour son pauvre éveque .... Heureux anneau dont j'envie le sort, oh! qui m'eût dit, qui eût dit à mon pére ta destinée!

Frères bien-aimés, à peine si nous nous apperçûmes de ce qui suivit .... seulement quelques instants après, la chasse était rentrée dans son asile inviolable, la foule s'était écoulée, nous étions sortis nous-même, puis nous étions revenus, revenus jusqu'au moment du départ - nous ne prêtions plus qu'une oreille et un coeur distraits à ce que nous entendions, même en nous jetant pour la dernière fois dans les bras du vénérable évêque qui nous accablait de caresses et de dons - en revenant à Milan, en parcourant les féériques galeries de la chartreuse de Pavie; jusqu'au temple gigantesque de marbré blanc, aux cent deuze aiguilles gothiques, aux trois mille deux cents statues, elevé ad Mariae nascentis gloriam; parmi les choeurs ambroisiens, au milieu des plus magnifiques cérémonies; de plus de trente-cinq mille fidèles rassemblés; jusqu'à la basilique d'Ambroise, de Protais et de Gervais; aux pieds de la chaire où Augustin l'entendit si souvent; sur le pavé où pleuraient les pénitents prosternés; là où priait Monique avec tant de larmes et de ferveur - au baptistère où il reçut une seconde fois la vie avec Adéodat, Alype, confessant le Seigneur alternativement avec Ambroise dont l'âme transportée s'épanchait en actions de grâces; la nuit, le jour, c'est comme une continuation de cette apparition: notre coeur est profondément tranquille; nous trouvons aux pseaumes et aux cantiques divins un charme presque inconnu jusqu'ici, nos devoirs d'évêque nous apparaissent mille fois plus graves, plus tendres, plus difficiles, plus remplis de charmes, autant que de périls et de fatigues; il nous semble qu'Augustin est avec nous, qu'il ne nous quittera plus; nous sommes avec lui partout, partout où nous trouvons ses traces nous nous arretons ravis, nous lisons ses pages, nous dévorons ses récits aux lieux mêmes dont il décrit les touchants mystères; il nous semble que rien n'y est changé puisse-t-il être ainsi jusqu'au ciel!

En détachant, non pas notre coeur, mais nos yeux insatiables, de ses bienheureux ossements, nous lui demandions de le revoir un jour dans sa gioire - comme une autre armure, un glaive nouveau, une nouvelle alliance, nous lui demandions une de ses plus vives paroles, que nous pussions goûter en l'emportant - ama et fac quod vis, nous répéta-t-il comme distinctement, et nous n'aimerions pas! nous n'aimerions pas Dieu, nous n'aimerions pas l'église ! nous n'aimerios pas les âmes, nous ne vous aimerions pas de tout notre coeur, de toute notre àme, de toutes nos forces ... plutot mille fois anathème! Ama, ubi amatur ibi non laboratur - sine dolore non vivitur in amore - mulier cum parit, etc. - Ce fut en abrégé sa vie, ce devrait être la notre, amen !

Cependant, nous avons demandé aux Podestats, au Chapitre, à l'Evêque, au souverain Pontife la relique très insigne, qui tantôt doit revenir a Hyppône, et en gage de laquelle nous avons déjà reçu des fragments de ses doigts, de sa tête, de ses pieds, des cótes sous lesquelles brûlait son coeur; jusqu'à cet ornement vénérable de son menton, plus doux à notre coeur qu'aux caresses maternelles le duvet naissant de son premier né, plus doux que la blanche chevelure de son aïcul au petit enfant qui la baise avec tendresse.

Qu'il nous tarde de vous montrer notre trésor ! de recevoir pour vous celui plus précieux encore que nous avons demandé et que nous obtiendrons, selon ce que nous vous écrivions il y a deux jours, après des démarches beaucoup moins assurées pourtant que celles qui les ont dû suivre. Sans les joies pascales nous aurions à cette heure dépassé la fidèle, la catholique cité de Turin aux souvenirs si chers pour notre enfance! ... Nous repartons demain - jamais nous ne fûmes impatients d'arriver comme en ce moment; avant de remonter dans le char rapide, nous retournerons à la basilique ambroisienne, nous célébrerons une dernière fois la messe sur le corps de Saint Ambroise; nous sacrifierons sur l'autel de Gervais et de Protais, nous reviendrons au baptistère, nous recevrons la précieuse relique du grand évêque que nous a promise le gardien de cet autre trésor; et finis, que Dieu bénisse notre course jusqu'à la fin; que la terre, les mers nous soient propices, que les montagnes abaissent leurs cimes glacées, que les vents soufflent favorables, que les flots se courbent et s'aplanissent sous le dépôt que nous emportons! que nous vous revoyons bientôt, le plutôt possible, pour ne plus vous quitter, et en vous récitant sans fin ces merveilles sans fin ce nous semble, nous ne cesserons de vous crier avec lui jusqu'au ciel d'aimer, d'aimer Dieu, de vous aimer les uns les autres, plus encore mille fois par la tendrcsse et le sacrifice de notre vie, que par ces cris répétés, quelque vifs, quelque ardents qu'ils puissent être.

Ainsi soit-il en Dieu le Pére, le Fils et le Saint-Esprit! Nous vous écrivions de Milan, le second jour des fêtes pascales, 28 de Mars de cette année 1842, à la porte de la basilique ambroisienne, et encore sous notre seing, notre sceau particulier et le contre-seing de notre bien-aimé compagnon de pélerinage.

 

ANTOJNE-ADOLPHE,

Evêque d'Alger.

Par mandement de Mgr.

X. DAIDOU, ch.-hon.,

Curé de St. Philippe d'Alger